Xiod

31 janvier 2006

Comme un Lundi...

Je suis dans un enclos. Un enclos fait de contreplaqué qui s'élève sur plus d'un mètre cinquante. Je regarde ce qui constitue l'essentiel de mon mobilier: une lampe, un caisson contenant des dossiers classés par ordre alphabétique, une photo de ma mère et de ma soeur dans un joli cadre métallique acheté en promotion, un ordinateur, écran, clavier, souris. Quelques Post-it donnent un aspect dérangé à mon bureau, pour faire "comme si".

Cela fait aujourd'hui neuf ans que je fais "comme si". Neuf années de douleurs, d'insomnies, de cauchemards. Bientôt une décennie que je ne ferme plus l'oeil de la nuit. Un tiers de ma vie passé à faire croire aux autres que je suis comme eux. Pourquoi faire ? Dans quel but ?

Je me lève doucement et ose jeter un oeil aux alentours. Partout les mêmes enclos, les mêmes barrières grisâtres, avec de-ci de-là des feuilles accrochées à l'aide de punaises. Les mêmes personnes, tous les jours. Au bout du couloir trône une énorme photocopieuse. Elle fait la fierté du chef de service. Pathétique. Un peu plus loin sur ma gauche, on aperçoît quelques personnes riant fortement aux anecdotes de l'un de leurs collègues. Encore un qui doit raconter son week end. Je déteste les lundis.

Et moi ? Qu'ai-je fait de mon week end? Les gens sortent avec leurs amis, rendent visite à leur famille, trainent dans les bars, dînent au restaurant, s'enlacent dans des salles obscures devant un film insipide, rient, pleurent. Et le lundi venu, ils déballent toute cette mièvrerie, ce ramassis de souvenirs dégoûlinants et pataugent joyeusement dedans jusqu'à la noyade. Oui, samedi soir, j'étais chez moi.

Allongé devant le poste de télévision, débitant sans cesse son flot de standards préfabriqués. Clips, pubs, sitcom, pubs, clips, jeu, pubs, journal télévisé (des dizaines de morts dans un attentat, un train qui déraille, un meurtre de plus dans un patelin paumé) météo, pubs, film. Les mêmes images qui défilent devant mes yeux rougis par la fatigue et le manque de sommeil. Toujours ces mêmes images, aseptisées par les commentaires des journalistes et les pitreries des animateurs auxquelles rit aux éclats un public de décérébrés.

Je me demande parfois comment j'en suis arrivé là. Neuf ans qu'elles sont parties. Elles ne reviendront plus. Elles n'existent plus. J'ai oublié leurs prénoms. J'ai oublié nos moments. Ma fille, ma femme. Perdues.

Il pleuvait. Il pleuvait à torrent, de quoi vous tremper jusqu'aux os. Je lui avait dit de rouler doucement, qu'il fallait qu'elle fasse attention. Notre fille n'était certainement pas tranquille. Elle détestait les orages. Les coups de tonnerre la terrorisaient. L'accident a eu lieu à quelques centaines de mètres de notre appartement. Juste en face du parc où nous l'emmenions jouer après l'école.

Les policiers m'avaient expliqué qu'un homme avait brûlé un feu rouge. Juste au moment où ma femme s'engageait sur le carrefour. Il les a percutées de plein fouet. Il s'en est tiré sans une égratignure. Et j'ai perdu ma vie.


Je me rassieds. Du travail m'attend. Des dossiers en retard, des courriers à expédier, des coups de fil à donner. Occupé. Il faut que je sois occupé pour ne plus y penser. Je chasse ces scènes de ma tête, les refoule au plus profond de moi. Je reprends mon air sociable, je sers mes sourires stériles à qui veut les voir. Je me glisse dans la peau de l'homme normal. La journée ne fait que commencer. Elle sera longue. Comme tous les Lundis...

6 commentaires:

  • SAI LA FETE \o/

    errrm dis moi on est bien toujours dans la nouvelle, là ? c'est pas ta vie en vraie ? :x

    Par Blogger Ozh RICHARD, À 12:37 AM  

  • oui oui, c'est toujours ma nouvelle, n'aie pas peur comme ca :)

    Par Blogger Xiod, À 9:23 AM  

  • salut Jo,
    Juste a propos des parenthèse : j'aime pas du tout. Je considère ca comme une solution de facilité de la part de l'auteur et je trouve aussi que ca casse completement le rythme :)
    mais sinon c sympa.

    Par Anonymous Anonyme, À 5:43 PM  

  • Oui, je trouve aussi. Sur le moment, j'ai pas tellement eu envie de chercher plus loin. Je m'arrangerai autrement la prochaine fois.
    Merci du commentaire :)

    Par Blogger Xiod, À 7:38 PM  

  • oui parce que là j'ai failli avoir peur...Je te propose un petit exercice...un questionnaire un de plus vas tu dire mais voilà, ici on lève un peu le voile...(cf mon blog)

    Par Blogger Muse, À 11:14 PM  

  • De quoi faire taire ce qui disent que l'on ne peut pas etre à la fois "scientifique et litteraire"... ;-) tu aimes écrire et ca se sent, j'attends de lire la suite avec impatience! C'est sombre mais très émouvant et ca fait réfléchir...

    Par Anonymous Anonyme, À 10:37 PM  

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